jeudi 21 mars 2013

L'enfant du péché... enfin !



 


Cette fois, ça y est. Il a fallu attendre que l'éditeur remette de l'ordre dans ses affaires, mais ça y est, l'enfant est né ! Et je peux désormais vous communiquer les extraits choisis pour le document de promo que nous avons préparé ensemble.

Le sujet

Depuis la mort de sa mère, alors qu’il avait huit ans, Jérôme est un enfant incompris, mal aimé de son père et surtout de la maîtresse que, sitôt veuf, il s’est hâté d’épouser. Complice de sa révolte, seule Martine, la fille de la marâtre, de quatre ans son aînée, lui a apporté une affection dont il s’est nourri. Mais lorsqu’il atteint l’adolescence, le désir physique pour cette jeune fille s’ajoute à l’adoration qu’il lui vouait. Alors qu’il vient de lui révéler cet amour dérangeant, il apprend coup sur coup qu’il est atteint du sida et que, adopté en réalité à sa naissance, il le doit sans doute à sa mère biologique, engrossée par un prêtre. Rien n’est perdu pourtant, grâce aux progrès de la thérapeutique mais surtout grâce à l’amour de Martine qui, contre toute attente, accepte de répondre au sien.

C’est en s’inspirant de plusieurs événements rencontrés dans sa propre vie que le poète néo-classique Pascal Fiévet avait imaginé cette histoire mouvementée, qu’il avait écrite sous la forme d’un scénario dialogué prévu pour le cinéma. quand il m'a proposé de le transformer en roman, j'ai choisi Martine pour en faire la narratrice : surprise par le sentiment inattendu qui désormais l’emporte avec Jérôme, elle s’efforce d’en reconstituer l’histoire depuis ses origines dans un journal dont voici quelques extraits.


D’abord la première page



Beaudrimont, le 1er juin 1988

Dans cinquante-sept jours, Jérôme fêtera son quinzième anniversaire, avec moi.

Et il y en aura encore beaucoup d’autres.

Parce que Jérôme, l’enfant du péché, comme ma garce de mère a osé l’appeler, ne peut pas payer de sa vie un péché qui n’est pas le sien.

Parce que le sida n’est pas la punition d’un péché : rien d’autre qu’une saloperie de virus.

Parce que je l’empêcherai de croire à cette abomination.

Parce que moi, Martine, dix-huit ans, bientôt dix-neuf, je vais lui faire aimer la vie.

Parce qu’il y a droit.

Et parce que je l’aime.



Ils ont commencé  par se détester, puis…



Samedi 4 juin 1988

On devait être en juin, ou peut-être fin mai quand, sans que personne d’autre que lui et moi en sût rien, nos rapports commencèrent à changer pour de bon.

Je ne me rappelle pas ce qu’il avait pu faire de plus que d’ordinaire mais cette fois, alors qu’on avait à peine fini l’inévitable potage aux légumes, Éric cria : « File dans ta chambre ou je t’assomme ! » et Jérôme obéit sans demander son reste.
L’expression de triomphe que je lus alors dans les yeux de ma mère me fut insupportable.

À la fin du repas, j’ai pris discrètement dans le compotier une pomme, que j’ai cachée dans ma poche, et je suis allée frapper à la porte de sa chambre. Je me souviens comme si c’était hier de notre dialogue, le premier que nous ayons jamais eu.

– C’est moi, Jérôme. Je peux entrer ?

– Fous-moi la paix !

– Ça va, Jérôme, je sais que tu m’aimes pas mais… les pommes, tu aimes, non ?

Il a ouvert la porte, le visage encore baigné de larmes, il m’a regardée, il a regardé la pomme que je lui tendais et il a dit :

– Pourquoi tu fais ça ?

J’ai pris une grande inspiration et j’ai dit :

– Parce que j’emmerde ma mère. Ça lui fait trop plaisir que tu sois privé de dessert. T’as pas encore compris que je la déteste autant que toi ?

– Autant que tu me détestes ?

– Mais non, petit crétin ! Autant que tu la détestes ! Si je te détestais, toi, je serais pas là !

Il a pris la pomme. Il a dit « Merci ! » et tout d’un coup, pendant que je le regardais mordre dedans, un peu émue, il a jeté ses bras autour de mon cou pour me faire un baiser mouillé.

Alors, évidemment, j’ai senti les larmes me monter aux yeux.

Ça n’était plus arrivé depuis l’enterrement de papa. Nous avons pleuré ensemble un moment sans rien dire, assis sur son lit, pendant que d’une main il tenait sa pomme, qu’il mangeait en sanglotant, tandis que son autre bras s’accrochait à mon cou.

Puis je lui ai dit : « Allez ! Va faire ta toilette maintenant ! » Il s’est mouché, il a changé ses chaussures pour des pantoufles, pris son pyjama sous l’oreiller, et il est parti vers la salle de bains. Je l’ai suivi dans le couloir. Au moment d’entrer, il s’est  retourné et il m’a dit : « Bonsoir Martine. Et merci pour la pomme. » C’est tout.

C’est depuis ce soir-là que je l’aime.

Enfin… Aujourd’hui j’ai envie de le dire comme ça mais ce n’est pas si simple…



Et les années passent et la haine de la mère de Martine dure..



Jeudi 9 juin 1988

Quand nous étions seules, elle me disait :

– Il ne tourne pas rond l’avorton ! Et à ta place je m’en méfierais, il est vicieux ! Il a des façons de te regarder quelquefois…Crois-moi ! Je te dis ça pour ton bien !

Mais moi, ses regards ne me gênaient jamais et qu’elle le traitât d’avorton, cela me révoltait. Évidemment, il était de santé fragile. Malgré une opération des végétations et la cure à Berthemont, il avait continué à collectionner les otites. Mais c’était un enfant qui se battait pour s’endurcir. En plein hiver, il s’en allait courir autour du jardin presque nu, il faisait des pompes devant sa fenêtre ouverte et il ne voulait rien entendre quand je le traitais de fou. Alors, oui, malgré ma tendresse, physiquement, il était resté à mes yeux l’enfant malingre qui, au premier abord, n’avait pas attiré ma sympathie. Mais dans ces moments-là, transfiguré par cette volonté de lutter, comme il l’avait été, à Berthemont, par le bonheur de communier avec la nature, il me paraissait beau.

Évidemment, ma mère ne le voyait pas avec les mêmes yeux et elle continuait de cultiver à son égard une hostilité sournoise que son mari se refusait étrangement à percevoir. Quand il se fâchait contre son fils, elle faisait semblant de vouloir jouer les pacificatrices, et ce manège mettait Jérôme hors de lui.

– Toi, ça te regarde pas ! T’es pas ma mère ! criait-il.

La colère du père s’en augmentait. Cela se terminait par une punition qui pouvait aller du « Fous le camp dans ta chambre, et que je ne te revoie plus aujourd’hui ! » signifiant la privation du repas, à la paire de claques assez violente parfois pour l’envoyer se cogner contre les meubles qui, depuis le CM2, avait remplacé la fessée.

Alors il sortait en courant, sans souci de se couvrir quand le temps l’aurait exigé. De jour ou de nuit, selon l’heure et la saison, il filait jusqu’au cimetière pour aller pleurer sur la tombe de sa mère.

Et c’est encore Ernestine qui nous le racontait en le raccompagnant parfois.

– Faut pas le laisser partir comme ça de ce temps ce pauvre petit, disait-elle. Pas étonnant après qu’il soit malade ! Qu’est-ce que vous voulez ! Il l’aimait tellement sa maman ! C’est quand même malheureux d’être orphelin à cet âge ! C’est vrai que toi aussi ma petite Martine, mais quand même, toi tu étais plus grande déjà, puis une maman c’est une maman, c’est pas pareil.

Ça dépend laquelle. La réponse me brûlait les lèvres, mais je la retenais.





Puis c’est la crise.



Lundi 13 juin 1988

J’ai pris une grande inspiration et j’ai frappé à sa porte, bien décidée à tirer tout cela au clair et ne doutant pas de mon aptitude à tenir mon rôle : être la voix de la raison.

– Jérôme ! C’est moi ! Je peux entrer ?

Il a ouvert la porte et il s’est jeté dans mes bras en pleurant. Je ne m’étais pas attendue à le trouver à ce point désarmé.

– Martine ! Qu’est-ce que j’avais besoin de toi !

J’ai essayé de ne pas me laisser attendrir.

– C’est ça ! Je vais te consoler ! Non mais ça va pas de menacer ma mère avec un couteau ?

Il s’est reculé pour me regarder, un peu désemparé.

– C’est vrai, c’est ta mère malgré tout ! Tu dois m’en vouloir ! Mais je l’aurais pas touchée tu sais !... Martine ! Si tu me laisses tomber j’ai plus personne ! Dieu m’aime pas.

– Plus personne ! C’est ça ! Tu menaces ta belle-mère avec un couteau, Ernestine te recueille au presbytère, le Père Jean te ramène, lui et ton père sont en train de discuter de ton avenir et tu n’as plus personne ! Et « Dieu m’aime pas » en plus ! Non mais qu’est-ce que ça veut dire ?

– Pourquoi il m’a enlevé ma mère ?

– Oh ! Et moi c’est mon père que j’ai plus, c’est pas une raison pour dire des conneries ! Tu arrêtes un peu ton numéro de Caliméro ! Tu as quatorze ans mon grand ! Il serait peut-être temps d’essayer d’être raisonnable !

– Facile à dire ! Toi je sais pas comment tu fais, tu as toujours tout bien, tandis que moi… Et puis… Ernestine, je dis pas, c’est un peu comme une grand-mère, mais le Père Jean, hier soir, il m’a engueulé, tu aurais dû l’entendre !

– Parce que tu l’avais pas mérité peut-être ?

– D’accord, je le reconnais, mais mon père, tu vas pas me dire qu’il m’aime ! Il prend toujours le parti de ta mère ! Elle, bon, je veux bien, c’est une marâtre, normal, mais lui ! Il en rajoute des fois même !

– Et en ce moment, il discute avec le Père Jean pour savoir ce qu’on peut faire de toi, en la laissant à la porte, vexée comme un pou, à essayer d’écouter ce qu’ils disent.

S’essuyant les yeux sur la manche de son pull-over, il sourit à cette révélation.

– C’est vrai ? Qu’est-ce qu’elle doit marronner ! Si seulement ils pouvaient décider de me mettre en pension !

– Tu voudrais aller en pension ? Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, tu sais ! Avec ton caractère, tu aurais du mal !

– Mais à La Trinité, avec toi !

Comment n’y avais-je pas pensé ?

Nous nous étions assis sur son lit et il se frottait contre moi comme un chaton, la tête sur mes genoux. Encore qu’inhabituelle, cette attitude enfantine ne me surprenait pas dans la situation présente. Mon esprit était trop occupé à évaluer la probabilité que le Père Legène acceptât Jérôme à La Trinité.

– Parce que c’est là-dessus que tu comptes ? Ça mon vieux, c’est pas gagné !

– M’appelle pas « mon vieux » ! « Mon vieux », c’est un copain. Je suis pas un copain, je t’aime.

– Et c’est pas pareil ?

– Fais pas semblant de pas comprendre. Je t’aime, Martine. Je suis amoureux de toi. Je voudrais qu’on soit mariés, plus jamais te quitter, te faire l’amour…

Le ciel me tombait sur la tête. Je l’ai repoussé brusquement :

– Non mais ça va pas ? Je vais finir par croire qu’elle a raison ma mère ! Tu es fou !

Il s’est effondré.

– Tu m’aimes pas !

Je ne pouvais pas le laisser dire ça.

– Mais si, je t’aime, mon petit loup !

Je ne l’avais presque jamais appelé ainsi. Seulement quand il était plus petit et qu’il avait de gros sanglots. J’ai repassé mon bras autour de ses épaules.

– Je t’aime, mais pas comme ça ! Enfin, tu te rends compte de ce que tu dis ? J’ai dix-huit ans et toi quatorze !



Mais à La Trinité, Jérôme est mal accepté par ses camarades.



À la fin de la séance de sport, la douche est facultative, mais le terrain étant boueux à souhait, il est facile de s’arranger pour que Jérôme en ait besoin. Thomas, Ernest et quatre fidèles au courant des détails du projet s’emparent les premiers des boxes afin d’en être sortis quand Jérôme pourra y accéder à son tour. Dès qu’il y est entré, les six garçons se rhabillent en hâte et se préparent à l’accueillir. Le signal donné aux Quatrièmes, une bagarre a commencé à l’autre bout du terrain, toute la classe s’est précipitée autour avec un maximum de confusion et de hurlements, les deux professeurs présents se sont mobilisés pour tenter de rétablir l’ordre et la voie est donc libre. Dans le vestiaire, quelques exclamations allusives du genre « Ça pue le cafard ! » ou « Il est cuit le fayot ! » fusent, pour chauffer l’atmosphère, puis les choses se précisent :

– On va lui passer la bite au cirage !

Mais le bruit de la douche empêche Jérôme de les entendre. Quand il sort, vêtu seulement de sa serviette, quatre garçons se jettent sur lui, la lui arrachent et le maintiennent tandis que Thomas Perrucher et Ernest Toraincourt, munis l’un d’un tube de cirage noir et l’autre d’un tube de dentifrice, l’en barbouillent copieusement. Ce qui, semble-t-il, n’était pas prévu, car l’affaire devait rester secrète, un septième garçon, pour ne pas être en reste, ramasse ses affaires et s’en va les jeter dehors par le vasistas des WC. Le malheureux Jérôme se débat comme un beau diable en hurlant de douleur et d’humiliation. Échappant enfin à ses bourreaux, dans son affolement il se précipite dehors, où les élèves qui n’ont pas pris de douche et les filles déjà rhabillées le regardent, incrédules, en le huant, se heurte à la porte par hasard verrouillée du cagibi, et se réfugie finalement dans le vestiaire des filles, apparemment vide, dont il referme sur lui la porte à clé.

Mais le vestiaire des filles n’est pas totalement vide. Caroline Tournaud sort des WC. À treize ans et demi, elle est la plus jeune de la classe. Une gentille et mignonne petite souris qui n’en revient pas de se trouver soudain en face de Jérôme Delcourt, tout nu et barbouillé de cirage et de dentifrice. C’est elle qui me l’a raconté depuis. C’était pendant ces quelques jours où je croyais que Jérôme allait bientôt sortir de l’hôpital complètement guéri. Les sévices qu’il avait subis étaient rejetés dans un passé anecdotique par le repentir des bourreaux et, du coup, c’est surtout le côté pittoresquement spontané du récit de la petite Caro qui m’a frappée. Mais peut-être aussi sa réaction face à la nudité de Jérôme qui, sans qu’elle s’en doutât, créait entre elle et moi, à son endroit, une sorte de complicité souterraine.

– Quand il m’a vue, il est resté tout con, les bras ballants. Il essayait même pas de cacher sa bite ! Moi, je m’en fous, j’en ai vu d’autres mais…

– Toi ?

– Ah mais non c’est pas ce que tu crois ! Mais à la maison, mon frère par exemple… Eh zut ! Vaut mieux que je t’explique sinon tu vas imaginer… Quand j’étais petite, mes parents ils étaient du genre baba-cool, encens, toilette en famille, tout le monde à poil dès qu’il fait pas trop froid et tout ça. Puis, quand j’avais six ou sept ans, ils ont rencontré Jésus ! Moi, Jésus, j’ai rien contre, plutôt sympa comme mec, mais le fils de Dieu et tout ça… Bref, eux, ça a été changement à vue, fin de la récré, école catho, tout le monde se rhabille et personne voit plus le cul de personne. Moi, pas contrariante, j’ai fait comme on voulait, mais mon frère – tu le connais mon frère, il était dans ta classe l’an dernier – lui, il a pas apprécié. Alors devant les parents, profil bas, il a rien osé dire, mais dès qu’ils nous laissaient seuls à la maison, hop, à poil ! Limite exhib avec moi ! Il me disait d’en faire autant. Des fois je le faisais, pourquoi pas ? Que ce soit défendu, ça me gênait pas, au contraire ! D’abord, j’ai toujours pas compris pourquoi : on était bien avant, je trouve ! Puis désobéir à deux, avec mon frère, j’aimais plutôt bien ! Après j’ai arrêté : juste marre de devoir me rhabiller en vitesse quand on les entendait rentrer. Par contre à la plage… L’été dernier quand il a eu son scooter, les parents lui ont permis de m’y emmener avec lui. On leur a pas dit que c’était à la plage naturiste, à Quend. Comme quand on était petits : le pied ! C’est pour ça que je te disais, des bites… Enfin tu vois, quoi !... Bref, j’ai dit : « Ben dis donc, ils t’ont bien arrangé ! Mais qu’est-ce que tu fous à poil dans le vestiaire des filles ? » Il m’a dit qu’ils avaient jeté ses affaires dans le cagibi. Moi j’ai dit « Bon ! Commence déjà par te nettoyer. Tu veux du gel douche ? Tiens, prends déjà ma serviette. » Pendant ce temps, dehors, les profs gueulaient « Ouvre Jérôme ! » en secouant la porte, surtout qu’en plus, il y avait des filles qui disaient : « Il y a Caro dedans ! Elle est toute seule avec Jérôme à poil ! » Tout excitées qu’elles étaient !... Pendant qu’il se douchait, j’ai réfléchi. Et quand il est sorti, je lui ai dit : « Garde donc ma serviette ! » Le pauvre, complètement paumé, il me la rendait au lieu de se la mettre autour de la taille ! Pas mal d’ailleurs, entre nous, le Jérôme, à poil, bien nettoyé ! Et puis je lui ai dit : « Fais-moi la courte ,je vais regarder par le vasistas. » J’ai passé la tête, j’ai repéré ses fringues, j’ai vu qu’il y avait le container à déchets juste contre le mur. Alors je lui ai dit : « Monte-moi encore un peu, je dois arriver à passer et il y a ce qu’il faut pour le retour. Faudra juste que tu m’aides à redescendre de ce côté. » Il voulait pas, il avait peur que je me fasse mal, mais ça continuait à gueuler dehors. J’ai dit : « Qu’est-ce que tu proposes, toi ? Je te dis que je peux y arriver ! Faut bien que ça serve à quelque chose d’être une souris ! » Je sais qu’ils m’appellent comme ça, dans la classe, « la souris ». En plus que mes parents me font habiller en gris ! Bref on a fait comme ça, il s’est rhabillé. Il me remerciait tout en toussant comme un perdu, j’en avais les larmes aux yeux ! La clé, il l’avait laissée dans la serrure, je m’en étais même pas aperçue ! C’est moi qui ai ouvert la porte et qui suis sortie la première. Il y avait des connes qui me demandaient « Qu’est-ce qu’il t’a fait ? ». Comme s’il avait risqué de me violer… J’te jure ! Et ils sont tellement restés bêtes de le voir sortir tout habillé et tout propre qu’ils ont pas réagi quand il s’est brusquement tiré en courant vers la rue.

La petite Caroline ! Je ne la voyais pas comme ça. Je le lui ai dit, et qu’elle avait vraiment été formidable. Elle a rougi du compliment, mais elle a répondu :

– Tu sais, sur le moment… Mais après j’ai vomi. Lui avoir fait ça, c’est vraiment dégueulasse.



Plus tard, à l’hôpital…



Je n’ai pas eu le temps de m’interroger sur les sous-entendus que semblaient recouvrir ces paroles, car le docteur Lasco arrivait. Il souriait, mais sans forcer sur l’enjouement, gravement.

– Bon ! Jérôme, ta pneumopathie est guérie pour cette fois et tu vas pouvoir sortir demain comme on l’espérait. Mais il faut qu’on parle de la suite tous les deux. Vous nous laissez, mademoiselle ?

Il avait vu mes larmes, il avait dû penser que je n’étais pas assez forte pour supporter ce qui allait se passer.

– Elle peut rester, a dit Jérôme, j’ai pas de secrets pour elle !

– Tu as de la chance, a dit le médecin. Mais… je préfère te parler en tête à tête !

Je suis allée attendre dans le couloir. Cela n’en finissait pas et je ne pouvais pas penser à autre chose qu’à ce qu’il devait ressentir en ce moment. Puis la lampe témoin de la sonnette d’appel s’est allumée au-dessus de la porte, et l’infirmière est entrée. Le docteur est sorti un instant plus tard et il m’a dit :

– Il ne veut pas vous voir. Je crois qu’il a peur de vous contaminer, je lui ai pourtant bien expliqué !... Vous êtes au courant, je suppose ?

– Oui docteur. Depuis quelques jours seulement, mais j’ai lu des articles sérieux sur les modes de contamination et les possibilités actuelles de traitement. Je suis prête à l’aider au maximum, comptez sur moi.

– Pour l’instant, il ne veut voir personne, mais restez là ! J’ai appelé l’infirmière pour ne pas le laisser seul. Elle va le raisonner. Quand il sera un peu calmé, il aura besoin de vous. Il faudra être très patiente avec lui : c’est dur à accepter et alors à son âge… On a beau avoir malheureusement l’habitude, nous autres, les réactions peuvent être assez imprévisibles. Attendez-vous à des hauts et des bas. Vous êtes quoi, vous, pour lui ? Sa sœur ?

– Même pas : la fille de sa belle-mère. Mais peut-être un peu plus… C’est un peu compliqué à expliquer.

Il a murmuré :

– C’est une mère qu’il lui faudrait en ce moment, pauvre gosse !

J’ai essayé de sourire :

– Faute de mieux… Ça lui est arrivé de me prendre un peu aussi pour sa mère, vous savez !... Et à moi aussi peut-être,  d’ailleurs ! Il faudra bien qu’il s’en contente.

Il m’a regardée quelques secondes, un peu surpris je crois, puis il m’a tapé sur l’épaule affectueusement :

– Bon courage, mademoiselle ! Vous savez, on a de grands espoirs avec l’AZT. Il faut avoir confiance : le moral, c’est très important !

Dix minutes, peut-être plus, peut-être moins, ont passé avant que l’infirmière ne ressorte. Interminables… Elle m’a dit :

– Il est un peu plus raisonnable : il ne refuse plus de vous voir, vous pouvez y aller. Je vais quand même lui donner un sédatif, comme ça, d’ici un quart d’heure il devrait dormir, ça l’aidera à s’habituer.

Je l’ai trouvé pleurant, en chien de fusil, sur son lit d’hôpital. Quand j’ai caressé son front, il a dit :

– Me touche pas ! Je veux pas que tu l’attrapes ! Pas toi ! Moi, Dieu m’aime pas, je porte malheur ! Reste pas avec moi ! Laisse-moi mourir tout seul !

J’ai dit doucement :

– C’est fini ces conneries, oui ? T’as pas compris que c’est pas comme ça que ça s’attrape ? Dieu, je sais pas, mais moi je t’aime. Et il faudra que ça suffise, parce que tu vas pas me laisser tomber comme ça ! J’ai besoin de toi, moi ! Personne va mourir. On va te soigner. Guérir, je te dis pas, pour l’instant on sait pas, mais ça va venir, il faut juste tenir jusque-là !

Il se redressait pour me regarder :

– C’est vrai que tu as besoin de moi ?

– Bien sûr ! Qu’est-ce que tu crois ?



La révolte.



Nous sommes arrivés pendant le Notre Père que, tandis que Jérôme se taisait, j’ai récité machinalement à voix haute avec l’assemblée, préoccupée seulement qu’il voulût rester debout près du bénitier. J’ai risqué ensuite :

– Tu devrais t’asseoir : il ne faut pas te fatiguer !

Il a répondu en dégageant son bras que je tenais :

– Laisse-moi.

Il a attendu que tous les fidèles qui voulaient communier soient sortis de leur banc pour se placer en dernier rang, au bout de la file qui s’avançait vers le prêtre. Debout à l’entrée du chœur, le Père Jean distribuait les hosties en répétant la formule sacramentelle « Le corps du Christ », et les fidèles répondaient « Amen » avant de les recevoir dans leur bouche ou dans leurs mains. J’ai hésité. Mais non, je ne croyais pas que ce fût là le corps du Christ et je suis donc restée au fond de l’église. Je n’ai rien vu venir.

Arrivé devant le Père Jean, Jérôme a soudain dit d’une voix forte :

– Tu crois que tu peux me le donner, papa ? Je risque pas de lui foutre le sida ?

Et se retournant vers les fidèles sidérés, il a continué :

– Oui, bonnes gens ! Votre vénérable curé est mon papa ! Le vrai ! Celui qui m’a fabriqué en baisant une putain ! Il avait même pas mis de capote, le con ! Le pape veut pas ! Ils m’ont pas tué non plus dans le ventre de ma mère ! Ça aussi c’est défendu ! Il n’y a que Dieu qui a le droit ! La vie, n’importe qui peut la donner, ça fait rien, n’importe comment, avec le sida en prime, ça fait rien, on a le droit, normal le sida pour un enfant du péché, non ? Dieu, il s’en fout, il est pas regardant ! Peut-être même qu’il trouve ça juste. Mais la mort, ça, c’est lui. Et lui, c’est quand il veut. Il a le temps ! Il peut s’amuser à te regarder un peu souffrir avant, c’est plus drôle, non ? !

Je ne sais pas trop comment le Père Jean avait réagi jusque-là. Moi je ne voyais que mon Jérôme hurlant sa douleur et sa révolte. Mais tout d’un coup, il a essayé d’intervenir :

– Jérôme ! Calme-toi mon petit ! Tu blasphèmes !

– Et alors ? a crié Jérôme se retournant vers lui. Ça vous regarde ? Qu’est-ce que vous avez à me dire ? Vous m’avez fourgué aux Delcourt vite fait bien fait, ni vu ni connu j’t’embrouille ! Ça vous concerne plus, non ? C’est parce que vous êtes curé ? Un curé qui va au confessionnal en sortant du bordel pour dire aux bonnes gens de pas le faire ! Pour faire honte aux petits garçons et aux petites filles qui se touchent ! Et vous aussi vous venez de vous branler peut-être, avec la main qui tient l’hostie ! Et le pape aussi peut-être, qui vous empêche de vous marier ! C’est vrai que se marier, pour aller baiser ailleurs après ! Moi non plus je me marierai pas, papa ! Je vais crever, moi ! Nettoyé l’enfant du péché, plus de trace bientôt. Tout le monde va respirer mieux !

Dans leurs bancs, les paroissiens étaient médusés. L’allée centrale était vide. Je me suis approchée de lui, je l’ai pris dans mes bras pour lui dire doucement :

– Arrête Jérôme ! Leur péché on s’en fout ! Moi je veux que tu vives !

Il m’a regardée, l’air égaré.

– Tu le savais, Martine, et tu m’as rien dit ! Pourquoi ? Tu veux vraiment que je vive ? Ça fait déjà six ans que je te pourris la vie et toi tu te plains pas ! Mais ça peut pas continuer, ça. Aime-moi encore un peu, le temps que je finisse. Après, tu trouveras bien un mec normal !

Et il est tombé, d’un coup.


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